Les Fleurs Du Mal
- Ima Dello Iacono
- Dec 23, 2023
- 4 min read
Dissertation Littéraire:
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal
“L’imagination est au centre de l’esthétique baudelairienne qui refuse le réalisme.” -Claude Eterstein
Je ferme les yeux. Soudain, ma perception de la réalité s’en trouve altérée. Je suis un loup, un baiser, une larme. Je parle des langues qui n’existent pas. Je vole et je plane. Je suis la fumée d’une vieille pipe à tabac qui s’en va rejoindre le soleil. Je suis l’odeur du goudron après une averse estivale mais aussi l’écho des rires d’un enfant aimé. Les minutes sont des heures, les heures sont des secondes. Je ne suis pas étudiante. Il n’est pas quinze heures vingt et je ne suis pas en cours de mathématiques. Je décline la vérité du monde sensible. Mon imagination objecte et se confronte à la réalité.
Peut-être était-ce ce à quoi pensait Claude Eterstein lorsqu’il a déclaré: “l’imagination est au centre de l’esthétique baudelairienne qui refuse le réalisme”. Cette citation semble vouloir signifier dans un premier temps que ce qui ressort du style poétique de Charles Baudelaire est la faculté de créer, d’inventer et d’imaginer et, dans un second temps, que ce même style n’intègre pas ou n’inclut pas une représentation réelle des évènements.
Cette réflexion me pousse à me poser les questions suivantes: L’imagination est-elle réellement au centre de l’esthétique baudelairienne? Mais si non l’imagination, qu’est-ce dont que le centre? Et l’imagination empêche-t-elle le réalisme? Je vais donc tenter d’y répondre à travers cette dissertation.
Premièrement, il est vrai que l’imagination débordante de Charles Baudelaire se fait sentir maintes fois tout au long du recueil de poèmes Les Fleurs du Mal. L’auteur utilise d’innombrables figures de styles pour illustrer ses propos et crée des histoires et des personnages qu’il utilise comme métaphore de la réalité. Il est possible de le constater lors de la lecture de nombreux poèmes du sujet lyrique notamment L’Albatros qui met en scène la condition et la sensation d’exclusion et de ridicule du poète à travers celle d’un volatile maladroit. Le poème présente des ressemblances intelligentes et recherchées entre le poète et l’oiseau auxquelles peu de gens auraient pensé. En ceci, l’imagination pourrait effectivement être considérée comme étant au centre de l’esthétique baudelairienne.
Cependant, lorsque l’on parle d’esthétique baudelairienne, l’imagination n’est pas l’unique notion qui nous vient en tête. Les compositions littéraires regroupées dans Les Fleurs Du Mal sont très différentes les unes des autres. Elles sont d’ailleurs classées dans plusieurs catégories qui représentent des sujets variés. L’idée ou le thème que l’on retrouve dans une grande partie de ces poèmes et qui crée une forme de lien entre ces derniers est le fait “d’extraire la beauté du mal”. En d’autres termes, mettre en scène des situations tristes, mauvaises, etc… de façon poétique et agréable à lire. Un contenu repoussant dans une forme alléchante. On remarque ceci en lisant ces quelques lignes du poème Une Charogne:
“Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.”
N’est-ce pas merveilleux? Et pourtant le poème en question traite de la découverte d’un cadavre. Tout comme celui-ci, de nombreux autres poèmes de Charles Baudelaire illustrent des propos sombres et lugubres en gardant une beauté fascinante. Cela en est d’ailleurs presque dérangeant car nous assistons avec un certain plaisir à quelques scènes parfois morbides. De cette façon, l’extraction de la beauté du mal est, pour certains, au centre de l’esthétique baudelairienne.
Mon dernier axe se fonde sur le contraste exposé entre l’imagination et le réalisme. Dans l’énoncé sélectionné, Claude Eterstein semble mettre en opposition d’une part; l’imagination qui évoque le rêve, le monde imaginaire, l’invention, la créativité et d’autre part; le réalisme évoquant la réalité, la vérité, le monde sensible tel qu’il est. Comme si les deux concepts ne pouvaient pas coexister et que l’un empêchait l’autre. L’auteur présente donc l’esthétique baudelairienne comme ayant une tendance imaginaire et non réaliste. Pourtant, dans ses poèmes, Baudelaire s’inspire fréquemment de la réalité. Il utilise certes bien souvent des images et des métaphores pour en parler mais il parle de choses réelles. Il écrit la vie. Il écrit les problèmes du quotidien de “Monsieur tout le monde”. Il écrit les sentiments éprouvés dans diverses situations. Il écrit la mélancolie, l’amour, la perte, la peur, l’espoir, le désespoir qui sont des concepts bien existants et je dirais même très réalistes. Comme, par exemple, dans son poème Au lecteur qui nous met face à une réalité plus ou moins désagréable à laquelle nous nous identifions. Le texte introduits des notions familières et tout à fait réelles. De ce point de vue, le réalisme pourrait tout aussi bien être au centre de l’esthétique baudelairienne. Sans pour autant qu’elle se refuse à l’imagination et vice versa. Ainsi, l’imagination et le réalisme ne seraient pas en opposition mais ils s’uniraient plutôt pour former cette esthétique unique.
En conclusion, ce que nous pouvons tirer de la citation de Claude Eterstein: “l’imagination est au centre de l’esthétique baudelairienne qui refuse le réalisme” sont les axes suivants: L’imagination peut certainement être mise au centre de l’esthétique baudelairienne grâce au style très métaphorique de Charles Baudelaire. Néanmoins, l’extraction de la beauté du mal peut aussi bien être considérée au centre de cette esthétique dû aux sombres propos de l’auteur. Et la place de l’imagination n’empêche pas pour autant le réalisme de ces propos. Je suis d’avis de dire que l’esthétique baudelairienne ne refuse pas le réalisme qui est à la source des poèmes recueillis dans Les Fleurs du Mal. Mais l’imagination n’est-elle pas au centre de toute forme de poésie?
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